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Un ex-légionnaire français sauvé

7 Octobre 2012 , Rédigé par Lucas Publié dans #NOUVELLES

Un belge partait. Il s'appelait Hardy. Un français arrivait. Il s'appelait Elambert. Il prenait la relève de Hardy en qualité de directeur de fabrication dans une usine de fabrication des meubles et articles électroménagers. Nous sommes à Kinshasa, vers les années 90. J'étais le secrétaire du département ou direction de fabrication, c'était le département-mère qui regroupait la section tôlerie, la section tubes, la section peinture et la section menuiserie. Et notre société-là devait se compter parmi les dix plus grandes du Congo RDC et pourquoi ne se taillerait-elle pas aussi une place de choix dans le palmarès des sociétés africaines. Cela me fait très mal aujourd'hui de parler d'elle au passé, puisque ce géant monument économique d'hier n'est aujourd'hui que l'ombre de lui-même, les événements de pillage l'ayant réduit à sa plus simple expression.

 

La société avait appartenu aux belges, puis lors du vent de la zaïrianisation mobutiste, elle était passée aux mains de feu Mr Bemba Saolona (avec mes révérences - respectons nos morts), puis à été gérée tour à tour par ses fils, dont Mr Igwe Jean-Pierre Bemba tombé dans le piège au nœud  coulissant centrafricain et recueilli, à tort ? à raison ? par les sbires de la CPI. Franchement, nonobstant tout ce qu'on aura dit de lui, force est de reconnaitre que Mr Bemba-père par le biais de ses activités, nourrissait  des milliers de familles kinoises en particulier et  zaïroises en général.

 

Un certain lundi matin de juillet, l'on nous présentait notre nouveau directeur de fabrication. Il n'était pas mal celui-là, et par sa peau poulet-frigo, l'on sentait qu'il débarquait fraîchement de la France et que c'était  sa toute première fois de fouler le sol zaïrois, d'embrasser la jungle. La jungle ? Oui ! Certains de ces blancs d'Europe s'évertuent toujours à croire que la civilisation, la vie, c'est chez eux, et le reste c'est sauvage ! J'avais eu à travailler aussi avec un jeune français qui mettait pied pour la première fois de sa vie sur le sol zaïrois, congolais, si vous voulez bien. A son embarquement à bord d'un régulier de la Sabena à l'aéroport de Zaventem, son père, sa mère et ses frères fondirent en larmes, car, d’après eux, le fils se rendait en pleine jungle au risque de tomber dans la marmite des cannibales.

Mais, dès que ce français prit son poste de F&B manager, il avait, selon le contrat, droit à une villa luxueuse, à une voiture de service et à une ration-pognon pour le week-end. Au vu des photos qu'il envoya auprès de sa famille, sa mère et les autres n'en crurent pas leurs yeux. Oui, l’Afrique transforme les blancs : villa gratuite, voiture gratuite, manger et boire gratuits, domestique gratuit…

 

Revenons à notre directeur, Elambert. Il était un peu chétif, d’une courte taille, le pied chaussant le n° 6, à la démarche plutôt de quelqu'un qui a peur que le sol ne s'écroule sous son poids, et pourtant il ne pesait pas plus de 50 kgs ! Bonne communication professionnelle pourtant dans l'équipe directionnelle de plus ou moins six personnes que nous formions ensemble avec lui. Il nous racontait des tas d'histoires de tout genre et surtout de sa Beauce natale, région si fertile qu'il vantait tant. Il était ancien légionnaire, nous disait-il, et nous racontait sur la montée des légionnaires en ville pour se défouler. Ils y débarquaient en convoi des camions dix-roues et aller faire la fête dans des bistrots. Les nanas, on se les croquait vives. "Ah oui, il en fallait bien, les meufs, car la vie du camp, ça vous démange quoi", disait-il avec un éclat de rire dévoilant au grand jour ses dents noir-café. Mais il n'avait rien de tout du physique d'un militaire, notre homme. Vraiment on le trouvait intéressant surtout quand il se mettait à déballer ses gros mots du genre : enfoiré, connard, con, enculé, zuava, putain, eh dis-donc...qu'est-ce que tu fous là-toi, espèce d'enfoiré...

C'est resté comme un héritage parmi nous, si bien que quand à tout à hasard on se croise avec un ancien coéquipier, l'on se salue en riant et en se lançant l'un et l'autre : eh enfoiré, qu'es-tu devenu ? Et toi, espèce de connard, où tu te terres ? Enfant de salaud, zuave, tu ne te fais pas voir ! Espèce d'enculé, t'as pas cessé de draguer les meufs ?

 

 

- Un jour une fille de notre équipe devait sortir avec un responsable du département énergie solaire pour aller prélever des mesures sur un chantier. Le type vient chercher la fille après avoir causé bien sûr avec le directeur de fabrication sous l'autorité duquel elle dépendait. Il portait un longue robe à la sénégalaise et avait une démarche voutée avec ses un-mètre-quatre-vint-dix. La porte du bureau s'ouvrit et se referma et nous les regardions tous deux se diriger vers la voiture. Elambert aimait bien cette fille qui travaillait au bureau d'études et qui était petite de taille comme lui. Les suivant toujours du regard à travers la baie vitrée, le directeur souffla, comme s'il s'adressait à nous : "regardez-moi cet accoutrement, c'est vraiment une menthe géante ! Ah si le ridicule pouvait tuer ! J'espère que ce grand con ne va pas abîmer notre fille !

- Un jour aussi, une sœur  religieuse vint passer commande de quelques meubles en bois. Après négociation, la bonne sœur  s'en alla. Elambert l'accompagne et lui ouvre donc la porte du bureau. Au revoir. Il referme aussitôt la porte et la regarde s'éloigner vers le parking par la baie vitrée, son poste d'observation duquel il scrute l'extérieur.. « C'est toutes des moches, des vieillottes qu'on envoie en Afrique, toutes les belles jeunes sont dirigées vers Vatican."

- Un matin, le directeur d'importation, un vieux belge aux allures de colon, vient nous rendre visite au bureau, tout en chemise blanche bien repassée reposant sur un pantalon de fond bleu assujetti par une ceinture cuir-chocolat, pantalon un peu relevé faisant dévoiler des chaussettes blanches rivalisant avec des chaussures noires. Au départ du directeur des importations, Alain nous dit : "regardez-moi ce vieux colon, toujours en chemise blanche. La question que je me pose est celle de savoir quand est-ce qu'on la lave ? Vous me diriez peut-être  que ce vieux con en possède une douzaine, mais il aurait mieux fait d' en prendre un kilo de douze couleurs différentes!

- Son épouse était venue en vacances au Zaïre avec son fils de plus ou moins dix ans. Ce jour-là elle vint au bureau pour inviter son mari au repas de midi, le gosse était derrière elle, la tenant par la main. "Oui, j'arrive", je termine quelque deux ou trois bricoles". La femme repartit. Elambert les regarda partir par la baie vitrée et enchaina : "Et ce petit con qui est toujours collé aux pattes de sa mère à tout bout de champ, même au lit, on ne sait plus tirer le moindre coup tranquillement".

- Un jour, il fit un faux pas et se cogna le tibia contre un pied de table en aluminium du bureau. L’'on vit l'ex-légionnaire se tordre de douleur comme un civil, les yeux froncés et bouffant sa lèvre inférieure sous l'effet de la douleur. Alors, entre amis, l'on se demanda comment un-ex légionnaire pouvait-il se tordre de douleur de la sorte.Un soldat est censé résister à la douleur, à la torture, non ?

 

Non ! Il nous marque "cet enfoiré" de directeur, vraiment il nous manque !

Puis vinrent les pillages. Année 1900 - 1991: ça tirait en l’air de partout, et les foules suivaient derrière les militaires en criant : "ELELA" (que ça pète  en parlant de tirs de balles). Les militaires défonçaient les entrepôts, les magasins, des sociétés, se servaient en premiers et la population venait en deuxième lieu. C'est comme les lions qui se servent et laissent les restes aux vautours, aux hyènes, aux chacals. Pan ! Pan ! ELELA !

 

Ce jour, j'étais arrivé trop tôt au lieu du travail. Sur la 14è Rue à Limete. Sous cette pluie de balles tirées en l'air et sous ce comportant  rageux de la population, on n'avait pas le droit de garder les gens et les faire travailler. Tous ceux qui étaient parvenus à atteindre quand même le lieu du travail comme moi, devraient rentrer à la maison.

Je ne suis pas rentré et j'ai tenu d'abord à voir le directeur, sa femme et son fils. Ils habitaient dans l'enceinte même de la société tout au bout de la clôture. Arrivé à la villa, je me mis à crier fort,  en les appelant. Mr Elambert ? Mr Elambert ? Personne ne répond. Je fis le tour des maisons en appelant. Alors, seulement, de là où ils se cachaient tous les trois, eux pouvaient me voir par les claustras. En fin, m'ayant remarqué, il sortit de sa tanière et me demanda des nouvelles

"Oui, les pillages continuent, et les militaires défoncent toutes les portes et laissent entrer la population après qu'ils se soient servis".

"Ah ma femme, elle est venue en mauvaise période, si l'on savait..."

Je m'imaginais à quoi il pensait : ces drogués des militaires pouvaient tout faire sur sa femme.

"On n'a rien mangé depuis le matin, ma femme n'a pas eu le temps de faire les courses matinales. « Mais nous sommes seuls ici, il aurait fallu qu'on soit à l'ambassade de France en ville."

Il me remit un peu d'argent et je fonçais dans la nature infernale comme Gavroche. J'allais trouver du pain et des arachides plus loin à la cité. Ils en grignotèrent à belles dents !.

Heureusement pour eux, la société appartenait à Bemba-père. Elle était gardée, et elle n'a jamais été pillée. Donc nos trois français jouissaient d'une marge de sécurité non négligeable. Sauf peut-être en empêchant l'intrusion aux autres militaires, il se produirait un échange de tirs où les gardiens seraient alors abattus... sinon, sans cela, ils pouvaient encore attendre tranquillement la fin des événements.

 

"Tu dois partir toi aussi, tu as laissé ta famille, il faut que vous soyez ensemble".

Serrement des mains, encouragements, byebye.

Je les avais quittés mais au fond de moi je n'étais pas en paix,  mais que pouvais-je y faire ?

Je marchais tout en raisonnant, priant Dieu afin qu'il ne leur arrivât rien du tout. Surtout à madame. Ces drogués, ces vautours,  la dévoreraient à mort et la dépéceraient gratuitement.

Je traversais le Boulevard Lumumba et passais par le terrain Saint-Dominique quand je fus sorti de mes pensées par un bruit de moteurs un peu exceptionnel. Je me retournais et je vis un convoi de véhicules militaires arborant l'étendard français.

Vite, ramassant mon courage, je courus, prenant mes jambes au coup et atteignis le Boulevard. Je fis signe, en levant ma main droite à la jeep de tête qui sans hésiter se mit de côté, et le convoi s'arrêta net. J'avais eu peur de courir vers le convoi car un tireur à la gachette facile eût vite fit feu, me confondant à un révolté ou un drogué porteur de bombe !

 

"S'il vous plaît messieurs, faites vite, il y a trois français qui sont en situation difficile, cachés là-bas, un monsieur, sa fem...".

Je n'avais même pas fini de parler qu'on  me dit : "Monte vite, c'est où ? ", pendant que le chauffeur braquait son volant et actionnait l'arrière pour la manœuvre. La première en virtuose, Il démarra sur les chapeaux de roues après que je leur aie indiqué la route. Les deux autres jeeps et deux "dix roues" nous collèrent aus fesses.

C'était de beaux jeunes gens, ces légionnaires, tondus à ras tout autour de la tête et un peu de cheveux sur le plat de la tête. Certains portaient leur bérêt rouge et les autres l'avaient noué sur l'épaule.

C'était comme la délivrance, une sortie de prison, de piège qui s'etait refermé brusquement sur vous !

 

Enfin, Alain sorti de sa tanière et se présenta comme ex-légionnaire et sans tarder, après quelques échanges de mots, toute la famille embarqua dans la jeep de tête. La jeep démarra, puis Elambert la fit arrêter.

"Il me fit signe de la main et je les rejoignis.

Il s'adressa à ses frères :légionnaires : " je voudrais partir avec Lucas, je ne veux pas le laisser".

"Les papiers, nous aurons des problèmes de notre côté aussi sans papiers, lui répondit-on.

Alain me serra vivement la main avec des yeux mouillés de larmes : "Courage, Luc, je te remercie pour tout ".

Je serrais la main de madame, puis du fiston.

El le convoi s'éloigna. Et Elambert s'envola pour toujours.

 

"Tant mieux, le destin n'en a pas voulu ainsi, sinon ça serait :  à moi la France ! A moi Paris ! » pensais-je en marchant sur le chemin de retour vers chez moi. Une buée de larmes mouillait me yeux aussi. L'essentiel pour moi c'était de les avoir remis dans les mains de leur mère,  la France.

 

 

 Lucas

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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